A partir des années 1920, les évènements vont se précipiter. Rappelons le contexte. Les niveaux d’énergie des électrons de l’atome sont quantifiés (Bohr 1913, Sommerfeld 1915), la lumière peut être décrite à la fois comme une onde et un corpuscule (A. Einstein, 1905 et 1916), il en est de même pour les électrons (De Broglie 1923). Il s’agit maintenant de trouver un formalisme qui permette d’une part de décrire mathématiquement un onde - particule, et d’autre part de prédire son évolution dans le temps par une équation maîtresse, comme l’est la relation fondamentale de la dynamique pour la physique classique par exemple.
Ce sont N. Bohr, H. Kramers et J.C. Slater qui furent sans doute les premiers à proposer une théorie de l’interaction entre la matière et le rayonnement en 1923. Cette théorie appelée BKS remettait néanmoins en cause les lois de conservations pour des évènements individuels (même si collectivement ces lois étaient respectées), ce qui s’est avéré faux par la suite. Néanmoins, cette première tentative contribua à la fondation du formalisme. Dans les faits, deux approches ont été proposées en parallèle : la mécanique des matrices proposée par W. Heisenberg , M. Born, et P. Jordan en 1925 et la mécanique ondulatoire dont une version aboutie est proposée par E. Schrödinger en 1926. La mécanique des matrices était beaucoup plus difficile à comprendre conceptuellement, la mécanique ondulatoire, plus accessible, s’impose donc dans un premier temps. De plus, Schrödinger montra toujours en 1926 que ces deux approches étaient en fait similaires.
L’objet mathématique qui permit de décrire les objets quantiques est une fonction caractéristique d’une onde, appelé fonction d’onde, dont la signification physique reste dans un premier temps obscure. Elle permet néanmoins d’établir une équation de type ondulatoire à une particule de masse m, dite équation de Schrödinger, valable pour une particule massique non relativiste. L’intérêt d’une telle équation est très clair : les états des électrons sont décrits par des modes propres comme pour une corde vibrante et en conséquence les niveaux d’énergie sont quantifiés. Les preuves expérimentales ne se font pas attendre. En juin 1925, M. Born explique la diffusion du rayonnement en utilisant la mécanique ondulatoire, et en 1927 Davisson et Germer d’une part, et G. Thomson d’autre part observent la diffraction des électrons par la matière. W. Pauli publie en 1925 son fameux principe d’exclusion pour les électrons. Sur les niveaux d’énergie quantifiés justifiés en mécanique ondulatoire, caractérisés par trois nombres quantiques à cette époque, il n’est possible de placer qu’un seul électron. L’hypothèse d’un moment cinétique de l’électron appelé spin, par G. Uhlenbeck et S.A. Goudsmit cette même année, parachève l’édifice atomique.
Cette théorie mathématique, si elle donne pleinement satisfaction quant à la justification de nombreuses données expérimentales, reste néanmoins relativement obscure en terme conceptuel. C’est encore M. Born qui propose en 1926 une conception physique à la fonction d’onde : la norme au carré de cette fonction d’onde représente la probabilité de présence de la particule. La fonction d’onde est donc une amplitude de probabilité. La découverte par Heisenberg l’année suivante en 1927 de son fameux principe d’incertitude donne le cadre conceptuel abouti permettant de tordre le cou au dilemme onde – corpuscule : une particule est à la fois une onde et une corpuscule, mais si l’on cherche à mesurer sa position caractéristique de l’aspect corpusculaire, on perd toute information sur son caractère ondulatoire, et réciproquement. Si le principe d’incertitude (indétermination serait un terme plus juste, car il n’y a pas d’incertitude la dedans, mais l’expression s’est imposée historiquement) permet d’expliquer pourquoi certaines expériences s’expliquent de façon corpusculaire alors que d’autres pour une même particule, s’explique de façon ondulatoire, il n’en reste pas moins que cet état d’onde – particule soulève et soulèvera encore de nombreuses questions.
Parallèlement à la construction de cette nouvelle théorie, d’autres découvertes très importantes sont faîtes, qui contribueront à une formulation plus exhaustive par la suite. Ainsi, O. Stern et W. Gerlach montre expérimentalement en 1922 la quantification du moment magnétique de l’atome. Cette découverte mènera G. Ulhenbeck et S. Goudsmit à proposer en 1925 l’existence d’un moment magnétique intrinsèque de l’électron appelé spin. En tenant compte du principe d’exclusion de Pauli, et du caractère demi-entier du spin de l’électron, E. Fermi propose en 1926 une nouvelle statistique différente de la statistique de Maxwell-Boltzmann. Six mois plus tard, P. Dirac obtient le même résultat par un raisonnement différent : cette loi statistique applicable aux particules de spin demi-entier portera désormais le nom de statistique de Fermi-Dirac. Parallèlement à ces résultats, S. Bose propose en 1924 une reformulation de la théorie du corps noir de Planck – Einstein. Son travail complété par Einstein mènera à la formulation d’une loi statistique différente de celle de Fermi-Dirac, et applicable cette fois au photon, désignation des quanta lumineux introduite par G. Lewis en 1926. Cette loi statistique dite de Bose-Einstein rend compte des effets collectifs de particules de spin entier, qui ne respectent pas le principe d’exclusion de Pauli. Elle prévoit en effet qu’à basse température les photons occupent le même état quantique, phénomène appelé désormais condensation de Bose –Einstein.
Ainsi, en l’espace de quelques années, une nouvelle théorie voit le jour qui permet de rendre compte du comportement de l’infiniment petit, régit par des règles qui ne sont pas concevables dans notre appréhension du monde à notre échelle. La mécanique ondulatoire de Schrödinger va permettre très rapidement de résoudre des problèmes pratiques importants, justifiant bon nombre de problèmes expérimentaux, comme la conduction des électrons dans la matière. La microscopie électronique en transmission va être développée sous toutes ces formes par Ruska dès 1930. L’effet semi-conducteur permettra à Bardeen et Brattain de mettre au point le premier transistor en 1949, ouvrant la voie à l’aire de l’ordinateur, et de toutes les technologies de l’information dont nous disposons actuellement. La conduction à travers une barrière dite tunnel sera exploitée beaucoup plus tardivement en raison de deux problèmes techniques sérieux : comment contrôler les mouvements d’une pointe à l’échelle atomique ? Comment fabriquer une pointe dont la taille en son extrémité est de l’ordre de la taille d’un atome ? C’est en 1982 que ces problèmes sont résolus par Binnig et Rohrer qui mettent au point le premier microscope tunnel. C’est une véritable révolution, puisque enfin il devient possible de voir directement les atomes, où tout au moins la densité électronique externe d’une atome.
Cette mécanique ondulatoire va cependant montrer rapidement ces limites. En particulier, elle n’intègre pas les comportements collectifs des particules, ni même de façon explicite du principe d’incertitude d’Heisenberg, même si son application montre qu’il est bel et bien présent. Elle laissera la place à la mécanique des matrices, tout d’abord perçue comme beaucoup trop mathématique. Elle sera néanmoins reprise par P. Dirac qui proposera en 1930 une synthèse très élégante de cette théorie et parfaitement interprétable physiquement. La nouvelle physique quantique naît, édifice intellectuel aux premiers abords très abstrait mais qui se révélera d’une puissance inouïe pour résoudre des problèmes le plus souvent impossible à traiter en mécanique ondulatoire.
Références :
« La physique du XXe siècle » par Michel Paty, EdP Sciences, collection Sciences et histoires, 2003
Excellent livre historique montrant les cheminements des sciences au siècle dernier, ainsi que les problèmes conceptuels et philosophiques engendrés
« Le monde quantique » les dossiers de la Recherche, vol29, novembre 2007
Revue vulgarisée faisant le point sur les avancées actuelles et la compréhension des concepts de la physique quantique, avec une partie historique.
« Niels Bohr : à l’aube de la physique atomique » supplément à la revue Pour la Science, collection Les génies de la science, N°34, février-avril 2008
La vie de Bohr remarquablement condensée et située dans le contexte, truffée d’anecdotes, de photo, d’encarts d’explication. Un vrai régal.